Selon certaines études, le marché mondial du « travail à la demande » a été évalué aux entours de 50 Milliards de dollars en 2017, dont 5 Milliards de dollars pour le recrutement en ligne où se positionnent les plateformes de freelances. Néanmoins, les estimations sont à prendre à la légère tant la diversité des modèles est importante et l’estimation du nombre d’indépendants hasardeuse (lien article engouement freelancing). La tendance reste cependant positive avec l’apparition constante de nouveaux acteurs (opérateurs), une libéralisation globale du marché du travail et des inspirations professionnelles en mutation chez les travailleurs salariés. L’engouement aoutour du freelancing est grandissant. De plus, Les récentes levées de fonds pour les start-up françaises confirment l’attrait des investisseurs pour ce type de modèle économique.
Les différentes typologies de plateforme
Basé sur le même principe que celui des plateformes de services (ex : Airbnb, Uber, Deliveroo etc.), qui ont démocratisé le modèle, les plateformes de travail sont des facilitateurs de mise en relation entre deux parties : les offreurs d’une part et les demandeurs (modèle biface ou multi-faces) d’autre part. Ces plateformes enrôlent donc des travailleurs potentiels qui sont à la recherche d’activités de façon temporaire ou permanente.
Nous pouvons segmenter les plateformes de travail à la demande en 3 segments distincts :
- Les plateformes de freelances (Malt, Comet, Yoss, Freelance Repuplik, Needle etc.) : ces plateformes sont de plus en plus présentes sur le marché français. Elles mettent en relation des freelances et des entreprises. Ces derniers confient généralement des missions/projets à des freelances ;
- Les plateformes dites de jobbing (TaskRabbit, Frizbiz, etc.) qui proposent à des particuliers de faire appel à d’autres particuliers pour des petits travaux ou des services (ex : SuperMano, Easyjobber, Needhelp, Stootie, Allovoisins etc.). Elles sont notamment très appréciées dans des domaines tels que le déménagement, le bricolage, la décoration, le jardinage, le ménage, le gardiennage, la cuisine, le baby-sitting… ;
- les plateformes de crowdworking sont une forme de travail reposant sur la mutualisation des ressources (ex : Amazon Mechanical Turk, Wirk, etc.). Le principe est simple : faire appel à une multitude de personnes pour réaliser des activité ou des tâches (voire micro-tâches). Le crowdworker offre ses compétences à des particuliers moyennant rémunération (sous forme d’enchères ou tarification fixe) ;
Ces acteurs favorisent grandement le développement et la pérennisation du modèle freelancing, jobbing et crowdworking.
L’émergence du travail à la demande
Le marché de la « gig economy » (économie des petits boulots) et du travail à la demande s’est fortement développé suite aux différentes crises et récessions économiques. A travers le monde, de nombreux individus se sont retrouvés sans solution et se sont vus contraints de faire appel aux plateformes afin de compléter leurs revenus. Ces plateformes voient donc une population de personnes très volatiles qui retournent vers des emplois plus traditionnels dès lors que la conjoncture est redevenue stable.
Derrière cette croissance constatée, se cache également un véritable engouement de la part de personnes qui ont trouvé un juste milieu entre aspiration professionnelle et vie personnelle. Exacerbées par un environnement économique instable, les nouvelles générations se sont fortement sensibilisées à ce nouveau mode de travail. La digitalisation du marché, la tertiarisation de l’économie, la recrudescence du nombre de travailleurs indépendants et des aspirations professionnelles changeantes (déstructuration grandissante des parcours professionnels) sont les raisons principales de cet attrait exponentiel pour ce modèle, qui s’est inscrit durablement sur le marché du travail. C’est dans ce contexte que les plateformes ont su susciter la curiosité et l’intérêt de nombreuses personnes, aujourd’hui devenues « néo-freelancers ».
Remettre en cause le salariat au bénéfice du modèle freelance semble encore prématuré. Le salarié est encore majoritaire en France avec des avantages indéniables en France (sécurité de l’emploi, appartenance à une organisation, accès au logement, protection sociale, etc.).
Le modèle économique des opérateurs
La grande majorité des acteurs optent pour un modèle de revenus reposant sur le prélèvement d’une commission (de 5% à 20% en général) sur chaque transaction réalisée via leur plateforme. La recherche de la masse critique nécessaire (toujours plus de missions toujours plus de freelance) semble donc inévitable même si certains opérateurs prônent pour une logique qualitative et non quantitative. La course à l’audience et à la fidélisation est donc d’une importance vitale pour accroître leur volume d’affaires et bénéficier d’effets de réseaux protecteurs. Afin d’attirer les freelances sur leurs plateformes, les opérateurs doivent être en mesure d’offrir une promesse adaptée aux freelances (en allant au-delà de la simple mise en relation) et offrir des contreparties.
Les plateformes jouent un rôle moteur dans la consolidation d’un carnet d’adresses de clients, et par rebond, de missions qualitatives, ce qui apporte une vraie proposition de valeur pour les freelances en quête de facilité leur quotidien.
D’autres opérateurs ont eu des approches différentes en proposant le modèle freemium, avec un service de base gratuit et un abonnement donnant accès à des fonctionnalités premium. Pour finir, il existe même des acteurs qui proposent une plateforme décentralisée basée sur la blockchain (ex : Talao) qui a pour intention de déléguer la gouvernance aux freelances.
Des plateformes de freelances qui doivent s’inscrire dans la durée
L’arrivée constante de nouveaux entrants maintient l’intensité concurrentielle à un niveau relativement élevé. Afin de pérenniser leur activité, les opérateurs doivent encore consolider davantage leurs promesses et ainsi fidéliser des freelances et des clients. L’acquisition de freelances reste le challenge numéro un pour les plateformes sachant que les travailleurs indépendants sont relativement volatiles et peu fidèles aux plateformes. Ceux-ci restent relativement opportunistes et sensibles à la qualité des missions proposées par les différentes plateformes d’autant plus que les meilleurs freelances présents sur le marché n’ont pas besoin de faire appel à ce type de plateforme car ils bénéficient d’un bon réseau et jouissent d’une très forte notoriété, ce qui leur permet de contractualiser en direct avec les clients.
Leur objectif est simple côté freelance : accéder à des profils qualifiés, à des prix compétitifs, tout en flexibilisant leur propre structure de coûts. L’opérateur doit également sécuriser son modèle pour éviter un risque de désintermédiation. La tentation est grande chez les freelances de bypasser les plateformes. La recherche de la masse critique est très importante pour les plateformes et le nombre de freelances se doit de croître de façon importante au cours des premiers trimestres afin de couvrir les investissements (informatique, marketing, communication et publicité).
Concernant les clients, les opérateurs doivent réussir à se positionner en qualité de tiers de confiance afin d’accroître le nombre de missions proposées par les entreprises. Toutefois, la promesse de valeur est plus discutable. Certaines plateformes sont souvent décriées par certains freelances. Elles favoriseraient la baisse du coût du travail en exacerbant la concurrence. De plus, le montant de la commission est jugé souvent trop élevée pour la qualité de service rendu.
Pour finir, le paysage concurrentiel pourrait se structurer autour de grands groupes du portage salarial, de travail temporaire ou du e-commerce en général, qui s’intéressent de près à ces modèles de plateformes pour des raisons variées. Malgré un potentiel d’activités inconnu, des risques juridiques et sociaux, des modèles économiques encore fragiles et une intensité concurrentielle élevée, le travail à la demande est en pleine consolidation et a encore de beaux jours devant lui, même s’il est possible que le marché « s’éclate » pour se restructurer autour d’acteurs majeurs du secteur.