La transformation digitale est un sujet majeur non seulement pour les départements informatiques, mais aussi au niveau de la gouvernance des organisations. Après avoir consacré l’expérience client – notée CX (Customer Experience) – voyons si et comment l’expérience de travail des employés – noté EX (Employee Experience) – pourrait constituer un nouvel eldorado de cette transformation digitale, en intégrant une approche bottom-up et en tirant profit des dernières innovations technologiques.
1. Les acteurs informatiques se (re)positionnent
Expérience employé, un sujet important et actuel
Après que Forbes déclara 2018 comme l’année de l’EX, Forrester communiquait en octobre dernier sur l’importance de l’EX en réponse à une prévision : un triplement du télétravail comparé à la période pré-pandémique. Le sujet devient donc de plus en plus actuel.
Offre de l’éditeur américano-suisse Nexthink
En réponse à ce changement d’habitudes de travail, les acteurs informatiques se (re)positionnent.
Ainsi le 08 février dernier, l’éditeur américano-suisse Nexthink annonçait-il avoir bouclé un tour d’investissement de série D d’un montant de 180 millions de dollars. Il rejoint ainsi dans le cercle des licornes (+ 1mds USD de capitalisation) une autre société vaudoise : Mindmaze.
Nexthink se propose de « changer l’expérience digitale des collaborateurs du tout au tout ». Pour cela, Nexthink permet de corréler les métriques techniques avec le ressenti des utilisateurs, quel que soit leur rôle au sein de l’organisation. L’objectif est de remédier aux dysfonctionnements informatiques, et ainsi d’améliorer l’expérience digitale des collaborateurs et collaboratrices de l’organisation.
Pour y parvenir, l’offre Nexthink Experience est une plateforme nativement digitale, qui repose sur 5 piliers (1.5): «
- Nexthink Act. Automatiser l’identification et la résolution des problèmes en autonomie.
- Nexthink Engage. Collecter le ressenti des collaborateurs de façon ciblée, et instaurer un nouveau mode de communication entre ces derniers et l’IT.
- Nexthink Integrate. Enrichir les systèmes IT existants en intégrant les données sur les expériences des collaborateurs.
- Nexthink Analyse. Collecter en temps réel les données sur les usages, directement sur les postes et les appareils utilisés. Cela permet de monitorer, évaluer et optimiser les usages des systèmes informatiques et applications mises à disposition, sur lesquels les services sont consommés.
- Nexthink Library. Plus de 100 packs avec des récits utilisateurs (use cases) prédéfinis. »
Plateforme digitale de Nexthink pour optimiser l’expérience employé
Nexthink Experience, permet de corréler « les métriques techniques avec le ressenti des collaborateurs pour obtenir une visibilité complète sur leur expérience. »
Cette nouvelle réjouissante pour l’économie romande en cette période si difficile est à rapprocher de l’annonce d’un autre éditeur majeur : Microsoft, introduisant Viva, comme sa « plateforme dédiée à l’expérience collaborateur ».
Offre de Microsoft, pour répondre à un marché évalué à $ 300 mds
Pour répondre à un marché évalué à $ 300 mds par an Microsoft annonce avoir construit Viva, comme une passerelle vers le poste de travail numérique (gateway to your digital workplace), autour de quatre axes:
- Microsoft Viva Connections, conçue comme point d’entrée unique à partir de MS Teams vers Yammer, et reposant sur MS SharePoint et MS OneDrive. Le but de Viva Connections est de faciliter la collaboration à distance, en cette période de télétravail planétaire, et de renforcer la notion de communauté virtuelle.
- Microsoft Viva Insight, pour optimiser la gestion de l’organisation. Avec Insight, Microsoft ambitionne de répondre tant aux besoins individuels qu’aux besoins du management. Au niveau individuel, l’éditeur veut pouvoir suggérer aux employés des plannings individuels avec par exemples des moments dédiés à la formation ou aux pauses. Pour le management, il ambitionne d’agréger des informations anonymisées, afin de fournir des tendances sur les usages, avec pour objectif d’optimiser la gouvernance de l’organisation.
- Microsoft Viva Topics, pour « organiser des contenus issus de l’usage d’applications de produits de la firme de Redmont tels MS Office 365, MS Teams ou MS SharePoint ».
- Microsoft Viva Learning, qui « regroupe les pistes de formations, issues de ressources Microsoft » comme MS Learn ou LinkedIn, ainsi que de partenaires tels Skillsoft, Coursera et edX. Viva Learning est annoncée par Microsoft comme pouvant s’intégrer avec des acteurs clefs de l’apprentissage et la gestion de talents tels SAP SuccessFactors, Saba ou Cornerstone OnDemand.
2. Les outils sont nécessaires mais pas suffisants : il convient de (re)penser l’environnement professionnel
Ces deux exemples d’offres logicielles autour de l’expérience de travail offerte au collaborateur et à la collaboratrice, illustrent l’importance de l’environnement digital comme élément impactant l’organisation dans sa création de valeur lors de la transformation digitale.
En effet, nombreuses sont les sociétés qui sont incitées, voire contraintes, à se transformer pour faire face aux enjeux digitaux.
Optimiser l’expérience employé comme vecteur d’excellence : 4 chemins analysés
Cette capacité d’optimiser l’expérience d’un employé comme vecteur d’excellence est un sujet de recherches actuelles. Ainsi le MIT, en Juin 2017, publiait-il un article scientifique (research briefing), intégrant la complexité à effectuer son travail (work complexity) en fonction de l’environnement professionnel ; l’environnement professionnel étant évalué par rapport à un comportement standard (behavioral norms), construit autour de la collaboration, la créativité et l’autonomisation des ressources humaines employées.
Voici une présentation de quatre manières – ou chemins – considérées par le MIT Sloan lors de la mise en œuvre de la transformation digitale. Ce qui mesuré est l’expérience vécue par l’employé tout au long de ce processus de transformation.
Chemin pour optimiser l’expérience employé lors de la transformation digitale
- Chemin 1. Standardiser.Les fondements industriels réduisent la complexité, en faisant la part belle à la standardisation, l’intégration et la capitalisation sur des processus optimisés.
- Chemin 2. Miser sur les héros individuels.Les sociétés centrées sur le client nécessite des employés héroiques. Globalement, cette structure organisationnelle péjore l’efficience collective, notamment en raison de prises de décisions lentes et peu reproductibles.
- Chemin 3. Itérer.Un environnement ouvert, favorisant la mise en place de services modulaires et standardisés, simplifie la vie au travail de l’employé et en augmente l’efficience opérationnelle. Itérer permet d’apprendre au plus grand nombre.
- Chemin 4. Être nativement digital.Ces nouvelles structures, nativement digitales, ont pour valeurs fortes la promotion de l’innovation et de la collaboration ; cependant, le piège peut être un focus trop important sur les capacités à délivrer des services aux clients, sans avoir l’assise organisationnelle permettant de le faire. Les écueils sont essentiellement autour des tâches administratives et de la connectivité à l’écosystème informatique de l’organisation.
Traduction d’un extrait de l’article du MIT CISR (Center for Information Systems Research), publié en janvier 2020
Les pistes de réponses proposées par ces chemins
L’article du MIT donne des pistes de réponses sur le chemin optimal à suivre lors d’une transformation digitale : la standardisation et l’itération sont les démarches qui semblent les plus efficientes, pour faire éclore les talents des ressources humaines impliquées, car elles apportent les meilleures expériences aux employés interrogés.
Néanmoins, cette efficience est-elle vraie, quel que soit le lien entre l’organisation et la ressource employée ?
Pas tout à fait, comme nous l’indique cette autre étude du MIT Sloan sur la gestion des talents, aussi bien internes qu’externes.
3. …Et à la manière de gérer les talents, tant internes, qu’externes.
Après avoir vu ensemble que les éditeurs offraient de nouvelles solutions pour gérer et monitorer l’expérience des employés, puis avoir distinguer différents chemins pour apporter la meilleure expérience aux employés. Terminons par analyser ce que construire une expérience enrichissante pour un talent employé peut impliquer en termes de performances pour l’organisation.
La gestion de l’expérience employé, pour toutes les ressources: un impact fort sur les performances de l’organisation
Dans un article publié en septembre 2018, le MIT Sloan distingue quatre différentes manières de gérer les ressources et leurs expériences au travail, avec leurs impacts sur quatre domaines de performances :
- La marge nette
- Le temps de mise à disposition sur le marché
- La capacité à changer
- L’innovation
- Separated. L’acquisition de compétences se fait via l’engagement de ressources externes, soit embauchées, soit en sous-traitance.Conséquences : Le risque de création de silos est fort, avec des accès verticaux et des niveaux d’engagements variables affectant les résultats opérationnels.
- Constrained. Les contraintes mises en exergues par l’étude sont sur la place de travail, les règlements gouvernementaux, et des conditions moins compétitives.Conséquences : L’expérience vécue par un employé est alors maintenue dans un environnement obsolète, tant technologique que sur les habitudes organisationnels. La mise à disposition du produit ou service est plus rapide qu’en mode « Separated » ; les autres indicateurs de performance sont comparables.
- Integrated. Une organisation « intégrée » se remarque à la non ségrégation entre ses forces vives internes (employés) et externes (consultants, sous-traitants et fournisseurs).La digitalisation aide à dépasser les frontières organisationnelles autour de l’emplacement et la notion de hiérarchie au sein de l’organisation.Conséquences : Bien qu’il apporte de l’adaptabilité et plus d’innovation que le deux précédents, ce mode d’organisation a un coût financier à intégrer
- Enabled. Concurrentes directes d’entreprises nativement digitales, ces organisations misent sur leurs talents internes, dédiés (FTE) et savent renforcer leurs équipes par des ressources externes expertes, sur des projets spécifiques.Conséquences : les résultats sont présentés comme optimaux, sur les quatre indicateurs mesurés. Ce mode de gestion des ressources apporte la meilleure expérience aux employs et s’avère être le plus générateur de performance organisationnelle.
Traduction d’un extrait de l’article du MIT CISR (Center for Information Systems Research), publié en septembre 2018
4. En synthèse
En synthèse, la digitalisation (ou numérisation) offre de nouveaux outils, pour rendre (encore) plus agréable l’expérience des employés, … et plus efficiente l’organisation. Cela dit, s’arrêter à l’implémentation de l’outils serait dommage et dommageable à l’organisation.
C’est bien encore et toujours dans sa structure organisationnelle que se trouvent les pépites de l’innovation des produits ou services offerts, et des marges opérationnelles générées. Et cette expérience des employés passent par un environnement ouvert, construit sur une démarche d’abord itérative pour essayer, et collaborative pour mutualiser sur les bonnes pratiques à généraliser au sein de l’organisation matricielle.
Cet environnement est renforcé par une approche transversale de la gestion des ressources, y compris entre les forces vives internes et externes ; les forces externes étant engagées en soutiens ponctuels sur des projets spécifiques, en vue d’y apporter une plus-value additionnelle aux capacités de l’organisation et non de s’y substituer.
Pour conclure, et paraphraser Rabelais à qui l’on crédite le célèbre : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », l’analogie serait de penser « digitaliser sans valoriser l’expérience de travail des ressources humaines employées, tant internes qu’externes, n’est que ruine de l’organisation ».