Voilà maintenant quelques mois que les tensions se cristallisent entre les acteurs du modèle Marketplace et, plus particulièrement, entre les opérateurs et les marchands. Jusqu’à ce jour, ce rapport de forces penchait plutôt en faveur des acteurs qui mettaient en relation les acheteurs et les vendeurs, cependant la gronde constante des vendeurs (ou prestataires) fragilise la suprématie des opérateurs, d’autant plus que les médias se sont emparés du sujet. Hausse des commissions, durcissement des règles du jeu, conditions de travail précaires, sanctions à l’encontre des marchands. Les opérateurs pensaient pouvoir maitriser la colère des marchands toutefois ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot. Petit tour d’horizon des faits marquants de 2019, année de la contestation marchande.
Uber
La plateforme de VTC a longtemps défrayé la chronique pendant des années, en raison de son combat qui l’opposait aux chauffeurs de taxis traditionnels, mais désormais ceux-ci font front à leurs propres chauffeurs. En effet, suite à la hausse des prix utilisateurs cumulée à la diminution des revenus des chauffeurs, ces derniers ont fait entendre en mars dernier leur mécontentement à travers le monde.
Ces mesures ont été prises par le géant Californien afin de gagner la faveur des marchés financiers préalablement à son premier appel public à l’épargne. Les chauffeurs n’entendent cautionner cette augmentation car ceux-ci ne s’attendent pas à bénéficier des fruits sous-jacents à cette introduction boursière.
Deliveroo
L’été dernier en France, de nombreux livreurs de repas, associés à la plateforme britannique, ont fait part de leur mécontentement suite à la nouvelle grille tarifaire de leurs services. Des refus systématiques de commandes et une grève perlée a été déployée par les coursiers à vélo dans Paris mais également Grenoble, Nantes, Tours, Nice ou encore Toulouse. Les livreurs réclament notamment « un minimum horaire au niveau du smic ».
Cela fait maintenant trois étés que la plateforme change les règles de rémunération des livreurs, toujours de manière unilatérale. Le manque à gagner pour les livreurs, déjà en situation de précarité, se situerait entre 20 et 30% voire même avoisiner les 50%. Deliveroo précise, à l’inverse, que la nouvelle tarification est plus juste et qu’elle valorise la moitié des courses, celles qui sont plus longues et, de facto, les plus fatigantes.
Malgré un environnement encore peu structuré pour eux, les syndicats dénoncent l’abattement des courses au prix plancher et l’opacité de l’algorithme de tarification déployé par Deliveroo, qui précarisent davantage les livreurs sur les courses de courte distance.
Amazon
Le géant américain a connu des temps plus calmes ces dernières années, surtout sur le vieux continent. A la suite de l’instauration de la Taxe Gafa, le géant Californien a annoncé que pour palier à cette hause, il la ferait répercuter directement sur les commissions appliquées à ses marchands. Chose promise chose due, Amazon a donc communiqué en Octobre dernier une nouvelle grille tarifaire, non sans déplaire aux vendeurs tiers. Une augmentation de la commission de 3% a été appliquée à tous les commerçants d’Amazon, représentant ainsi environ 10000 petites et moyennes entreprises françaises. A voir maintenant si ces 3% seront répercutés à nouveau auprès des consommateurs.
Aux Etats-Unis, Amazon a tenté d’imposer ses prix à ses marchands et leur imposer de ne pas vendre leurs produits moins chers sur leur site mais le législateur lui a donné tort en rendant une décision de justice en faveur des marchands.
Par ailleurs, les grandes marques commencent également à se détourner du géant Américain afin de retrouver une maitrise de la distribution de leur assortiment et ainsi être moins dépendants des décisions de l’opérateur. Récemment, Nike a annoncé son retrait de la plateforme d’Amazon, considérant que beaucoup de contrefaçons y figuraient.
Booking
On connait la notoriété et la réputation du géant Booking.com envers ses hôteliers partenaires. Réputée pour imposer ses conditions notamment sur sa politique tarifaire, la plateforme de réservation subit un vent de révolte depuis quelques semaines de la part de certains hôteliers du Cap d’Agde notamment.
Ces derniers ont artificiellement fait grimper les tarifs de leurs chambres, en août dernier, pour atteindre les 1000€ la nuitée sur Booking.com afin de dénoncer des commissions trop élevées et disparates d’une zone géographique à l’autre. L’objectif étant in-fine d’inciter les clients à contourner la plateforme et utiliser le canal direct pour la réservation (site Internet de l’hôtelier). Les prix de leurs chambres n’ont bien évidemment pas été modifiés sur leurs sites Internet.
Conscients de ne pas pouvoir se séparer du géant mondial trop longtemps, les hôteliers ont mené une opération limitée dans le temps et espèrent sensibiliser durablement les consommateurs. Les fortes commissions appliquées par les plateformes intermédiaires ralentissent le développement des hôteliers. De plus, les hôteliers remettent en cause la disparité des taux de commission appliqués d’une ville à l’autre (17% au Cap d’Agde versus 15% à La Grand-Motte). Ceci constitue un véritable problème pour eux et souvent source d’injustice : « à 50 mètres près, le taux de commission n’est plus le même ! »
Une législation plus ferme envers les opérateurs
De plus en plus en position de faiblesse, les marchands voient leurs chances augmenter face à une législation plus rigide envers les opérateurs, mettant ainsi fin au diktat des marketplaces. Comme précisé dans l’article de Haas Avocats, le « 2 septembre 2019, le Tribunal de Commerce de Paris a reconnu le déséquilibre significatif existant dans les relations contractuelles entre les Tiers Vendeurs et AMAZON ». Le législateur a estimé que la firme de Jeff Bezos s’était octroyée de larges prérogatives comme la suspension ou résiliation abusive des contrats marchands, des indices de performance non-explicites mais encore des litiges quasi-systématiquement arbitrés en faveur des clients.
Il est vrai que les opérateurs font l’objet de beaucoup d’attention et sont surveillés de très près notamment sur les pressions que ceux-ci font subir à leurs marchands. De nombreux opérateurs seront sanctionnables en cas d’immixtion ou d’ingérence dans l’activité de leurs marchands. A l’image d’Uber et Lyft qui ont subi une requalification des contrats de travail de leurs chauffeurs. Le rapport de forces a tendance tout de même à se rééquilibrer face à l’apparition constante de nouvelles Marketplaces, rendant les marchands moins fidèles et moins dépendants face aux opérateurs majors (Booking, Amazon, Uber etc.).
Alexandre Onufryk – Managing Consultant