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On va parler de robots cette fois. On estime qu’il y a déjà près de 1,5 million de robots industriels, moins de 20 millions de “robots domestiques”, comme les tondeuses à gazon et les aspirateurs, des robots spécialisés, comme les drones ou les appareils chirurgicaux, et quelques 20 000 robots humanoïdes qui sont utilisés principalement dans le domaine de l’éducation et du marketing (des évaluations plus ou moins approximatives).

Même si ces chiffres peuvent paraître impressionnants, on n’en est encore qu’au début, car ces chiffres vont augmenter significativement avec le développement de la robotique de services dont le marché est évalué à près de 100 milliards en 2020.

Les chiffres (le nombre de robots, principalement) varient d’une source à l’autre, il ne faut donc les prendre comme indicatif, pas forcément 100% fiables.


Bientôt la “robolution” ?

Sur le plan médiatique, en matière de robotisation tout ce qu’on voit en ce moment, ce sont des prévisions apocalyptiques nous annonçant que tous les emplois seront menacés (on voit même que les Chinois ont promu un présentateur virtuel pour leur journal télévisé !).

Des exemples comme celui d’Uniqlo semblent annoncer l’apocalypse pour les travailleurs du monde entier et de tous les secteurs.

En octobre 2018, l’entreprise japonaise Uniqlo a rénové un entrepôt dans lequel, ce ne sont plus des humains qui effectuent l’inspection et le tri des vêtements, mais des robots. Cette manœuvre a été rendue possible grâce à un partenariat avec Daifuku, un fournisseur de systèmes de manutention. Grâce à l’utilisation des robots, Uniqlo a ainsi réduit de 90% le personnel de l’entrepôt et peut laisser ce dernier fonctionner 24 heures sur 24.

The Japan News explique que l’entrepôt fonctionne grâce à un “système robotique, conçu pour transférer les produits livrés à l’entrepôt par camion, lire les étiquettes électroniques attachées aux produits et confirmer leurs numéros de stock et d’autres informations utiles. Lors de l’expédition, le système enveloppe les produits placés sur un tapis roulant dans du carton et y attache des étiquettes. Selon l’entreprise, seule une petite partie du travail à l’entrepôt doit être effectuée par les employés”.

Derrière ce qui semble être une première étape, se cache en réalité un plan à grande échelle, pour la société mère d’Uniqlo, Fast Retailing. L’idée étant d’automatiser tous les entrepôts du groupe. Tadashi Yanai, PDG de la société a confié “nous souhaitons mettre en place des entrepôts automatisés dans le monde entier le plus rapidement possible”.

L’apocalypse n’est pas pour tout de suite

Mais évidemment, les perspectives réelles sont légèrement différentes… En effet, il s’agit de rester raisonnables en nous rendant compte que la vague qui doit tout balayer avec la robotisation est un peu plus modérée qu’annoncée.

Bien entendu il y a des succès significatifs qui sont largement mis en avant par les promoteurs de cette tendance et qui montrent qu’effectivement, il y aura une vague de fond en matière de robotisation (certains parlent même de “robolution” !) et que celle-ci va avoir un impact à long terme. Ah… c’est combien d’années à attendre encore, le “long terme” ?

Eh bien dans ce cas, il est probable que soit de l’ordre de dix à vingt ans. Bien entendu, les habituels enthousiastes vont mettre en avant les formidables progrès d’agilité réalisés par les robots de Boston Dynamics (voir la vidéo ci-dessous, certaines sont effectivement bluffantes) pour expliquer que, cette fois, ça y est, après des décennies d’attentes, les robots sont bel et bien là, qu’ils vont tout rafler et que cela va se passer bien avant dix ou vingt ans…

Des échecs qui remettent les choses en place

En attendant, on constate que certaines expérimentations sont des échecs, des échecs cuisants et quelquefois très drôles, mais qui montrent la limite de la technologie actuellement disponible en matière de robot. Il faut toujours garder en tête le paradoxe de Moravec qui nous explique fort simplement et de façon très intéressante que les robots et nous sommes vraiment aux deux extrémités du spectre. Le paradoxe de Moravec s’énonce ainsi : ce qui est facile pour les robots est difficile pour les humains, ce qui est facile pour les humains est difficile pour les robots (j’ai légèrement reformulé l’énoncé, mais le sens reste le même…).

Nous avons déjà évoqué, lors d’une précédente chronique (voir « Remettons les choses à leur place en matière d’intelligence artificielle« ) les difficultés que vont rencontrer les fameuses voitures autonomes avant de pouvoir circuler librement sur nos routes. Car la réalité concrète est bien plus complexe que les belles démonstrations dans des conditions de laboratoire !

On voit avec les déboires récents (suite aux deux crashs du 737 Max) de Boeing que rendre les avions de ligne complètement autonomes n’est pas encore d’actualité non plus. Mais en dehors de ces deux domaines bien particuliers, les métiers traditionnels et les tâches répétitives sont bien en première ligne pour être robotisés, non ?

Non, pas tout à fait. En vérité, on se rend compte que les robots vont avoir du mal à imiter correctement les êtres humains dans bien des cas (d’où l’actualité jamais démentie du paradoxe de Moravec…). Cela nous est confirmé par Jean-Paul Laumond (co-commissaire scientifique de la nouvelle exposition permanente Robots à la Cité des sciences) : (…) un geste technique nécessite près de 10 000 heures pour être maîtrisé. Nous n’avons pas conscience de la complexité de nos mouvements dans la vie de tous les jours !

Je crois que le robot n’est pas prêt à remplacer la main de l’artisan et qu’il y aura encore du temps avant que leurs capteurs inertiels n’approchent la complexité de notre système vestibulaire (situé dans l’oreille interne, il contribue à la sensation de mouvement et à l’équilibre chez la plupart des mammifères). Les machines se distinguent par leur efficacité dans des gestes très spécialisés, répétitifs, parfois dangereux. Je pense que les rapports homme-machine seront plus complémentaires que substituables (source : Le Journal CNRS, voyez aussi cet excellent dossier sur les robots).

Hôtel robotisé = fausse bonne idée !

Le premier hôtel au monde, totalement exploité par des robots, y a ouvert ses portes en 2015. Le Henn na Hotel (“l’hôtel étrange”) a fait l’objet d’une foule de publicités et a été inscrit au Livre Guinness des records du monde en tant que premier hôtel robot. Ce n’était pas seulement futuriste : ses propriétaires espéraient compenser la pénurie de main-d’œuvre (problème typique au Japon) en employant des robots pour ranger leurs bagages, mélanger des cocktails, nettoyer les salles et même danser dans le hall. “Dans les pays qui connaissent une population en décroissance, nous pensons qu’il y a un avenir dans les hôtels robotisés”, a déclaré Ayako Matsuo de Huis Ten Bosch, la société qui gère l’hôtel, à propos de leur pensée originale. Elle a affirmé que la réduction des coûts de main-d’œuvre pourrait faire des robots une option “supérieure” pour le personnel de l’hôtel.

Mais lorsque les robots ont été mis en place, les choses ont vite mal tourné. Le concierge a eu du mal à répondre aux questions des clients. Les danseurs dans le hall sont tombés en panne. Les porteurs de bagages ne pouvaient ni monter les escaliers ni sortir. Un robot de questions-réponses ne pouvait rien répondre au-delà des demandes élémentaires. Pire, il se déclenchait en entendant le ronflement d’un invité en le réveillant à plusieurs reprises pour lui dire qu’il ne pouvait pas comprendre ce qu’il disait (et pour cause !). Plutôt que d’économiser de la main-d’œuvre, les robots ont en réalité demandé à l’hôtel d’augmenter ses effectifs afin d’aider et de réparer les robots en difficulté. Ainsi, l’hôtel a récemment décidé de se débarrasser de plus de la moitié de ses 243 robots.

Mme Matsuo pense tout de même que l’avenir reste robotique. La leçon qu’elle a tirée des luttes à “l’hôtel étrange” n’est pas que l’emploi des robots était une erreur, mais plutôt “qu’il est important de séparer soigneusement les services fournis par les robots des services fournis par les humains”. Les robots, a-t-elle noté, pourraient ne pas encore être en mesure de deviner ce que les clients veulent de la même manière que les employés humains de l’hôtel, mais ils ont des capacités dont les humains manquent. Les invités viennent du monde entier et même les personnes les plus instruites ne peuvent répondre aux clients dans des dizaines de langues aussi facilement qu’un robot. Il est donc probable que les robots ne gèrent pas d’eux-mêmes leurs hôtels à l’avenir, mais leur importance dans le secteur de l’hôtellerie continuera sûrement de croître (source : The Economist).

Robot souriant mais c’est à peu près tout ce qu’il faut en attendre !


Des robots aux cobots

La vraie robolution viendra du couplage intelligent entre l’homme et la machine : l’un complétant l’autre pour une efficacité optimum.

Un bon exemple nous est fourni avec les robots Kiva des entrepôts de la société Amazon. Comme le choix et la préhension sur les étagères des objets à expédier est un vrai casse-tête pour un robot avec des bras, la société de vente a changé la nature de la tâche à accomplir : les robots, sortes de “coffres à roulettes”, se contentent de glisser sous les étagères et de les soulever pour les apporter entières à un employé (humain), qui, en bout de chaîne, n’a plus qu’à lever le bras pour y prendre le bon article à expédier.

Certains s’investissent dans cette direction avec des “cobots” comme le Sawyer de HumanRobotics (voir la vidéo ci-dessous).

C’est souvent ainsi qu’aboutissent les vagues d’innovations majeures : la version finale diffère sensiblement des premiers essais, car la phase de mise au point a imposé le principe de réalité qui façonne notre monde. Les cobots sont moins ambitieux que les robots autonomes et bons à tout faire, mais il est plus réaliste de parier sur les premiers que sur les seconds.

Des “superassistants”

Aux premiers temps des ordinateurs durant les années cinquante/soixante, le public n’avait pas de recul sur ces “cerveaux électroniques” (comme la presse de l’époque aimait les appeler). On imaginait alors facilement que les ordinateurs allaient prendre toutes les décisions à notre place et que la société entière allait s’articuler autour de quelques “cerveaux électroniques géants”, omniscients et omnipotents. On a vite vu que cela n’allait pas tourner ainsi. Les mainframes ont permis l’automatisation des transactions et, pour ce qui est des processus, c’est toujours un chantier en cours. En ce qui concerne les décisions, les systèmes “d’aide à la décision” ont connu et connaissent encore un certain succès, mais ils n’agissent pas à notre place : ils nous aident juste à présenter les données de manière intelligible afin de nous permettre de prendre la bonne décision, nuance.

Au palmarès de l’efficience énergétique, c’est le condor des Andes qui surpasse tout le règne animal. L’homme circulant à pied est assez loin dans le classement… Mais donnez-lui un vélo et il se propulsera en tête !

Steve Jobs aimait comparer le PC à une “bicyclette pour l’esprit”. Peut-être que les cobots vont être pour nos capacités physiques ce que les ordinateurs sont pour nos facultés intellectuelles : des assistants doués et puissants. Voilà un scénario qui est plus séduisant que l’apocalypse de la robolution !

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