Selon IDC, les investissements dans la Blockchain seront “phénoménaux” dans les cinq prochaines années, avec une croissance de 73,2% par an pour atteindre 11,7 milliards de dollars en 2022. Le cabinet Gartner évalue de son côté à plus de 3000 milliards de dollars la valeur ajoutée créée par la Blockchain pour les entreprises par an d’ici à 2030. Tout cela ressemble bien à une bulle et certains sont encore assez lucides pour s’en apercevoir comme Salem Avan, le responsable de “la cybersécurité et du Knowledge Management aux Nations Unies”, lors du Blockchain Policy Forum organisé par l’OCDE le 4 septembre 2018 : La Blockchain est devenue notre marteau préféré à chaque fois que l’on voit un clou; et on en voit partout ! reconnaissait Salem.
https://www.maddyness.com/2018/11/06/66-choses-que-la-blockchain-est-censee-reparer/
Voilà, tout le problème est bien résumé dans cette introduction… Avec la Blockchain, on est face à un cas d’école dans le phénomène d’enflure médiatique. C’est le nouveau buzzword à la mode qui a pris le relais de l’IA et ça s’explique assez facilement : les projets IA d’envergure paraissent difficile d’accès (à raison puisqu’il faut pouvoir s’appuyer sur des gros, des très gros volumes de données) alors que la Blockchain paraît (à tort, on va le voir) bien plus à la portée des DSI.
La Blockchain, on en parle déjà sur ce blog
On ne va pas revenir, une fois de plus, sur ce qu’est une Blockchain et à quoi elle peut servir puisque c’est déjà très bien expliqué, sur ce blog, ici (https://www.redsen.com/fintech/de-quelle-matiere-est-ta-blockchain/) et là (https://www.redsen.com/fintech/adopte-une-blockchain/).
Une revue de presse de la Blockchain ?
Cette chronique pourrait presque être rédigée sous forme de revue de presse tellement les articles sur ce sujet sont nombreux et dithyrambiques !
Allez, un seul petit exemple, tout de même, histoire de mesurer jusqu’où est montée l’hystérie récente (oui, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier ce qu’on vit depuis quelques mois) à ce propos…
« La Blockchain, c’est la quatrième révolution industrielle ! » – Eric Larchevêque
On peut comprendre qu’il dise cela car Eric est le cofondateur de la Maison du Bitcoin, il est également le directeur général de Ledger, l’une des startups de l’univers de la Blockchain et des crypto-actifs. Son produit, un mini-coffre digital pour cryptomonnaies, fabriqué à Vierzon, dans le Cher, s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires dans le monde. Il espère faire de Ledger un géant technologique européen des solutions de sécurité et s’exprime sur l’avenir du bitcoin, les promesses de la Blockchain, la fiscalité et la réglementation en cours d’élaboration.
Des promesses aussi vertigineuses que ridicules
Je vous épargne les sempiternelles promesses exagérées au point qu’elles sont vide de sens comme “la Blockchain va supprimer les intermédiaires” ou mieux “la Blockchain va mettre à plat toutes les hiérarchies” (plus de patron, ben voyons !). On remarque tout de même qu’à chaque nouvelle mode, c’est le même type de promesses qui revient en boucle. J’aime beaucoup “la Blockchain va supprimer les intermédiaires” car cela évoque tellement l’émergence du web et du commerce électronique des années quatre-vingt-dix… On le prévoyait aussi à cette époque, et finalement, nous avons eu Amazon, Paypal et Ebay, sans même parler de AirBnB ou Uber qui eux ont inventé une nouvelle sorte d’intermédiaires.
Une compulsion de répétition troublante
Devant ce déferlement unanime, on ne peut s’empêcher d’être dubitatif : pourquoi est-ce toujours le même refrain dans notre industrie ?
Pourquoi est-ce que de telles exagérations reviennent cycliquement, portées par des médias qui ne semblent pas mesurer combien cette attitude dessert le peu de crédit qu’il conserve encore ?
On reste d’ailleurs pantois devant le manque de compétences techniques affichées par les sites dédiés à l’actualité informatique puisqu’ils ont tous repris ce discours (sur la Blockchain) sans éprouver le besoin de vérifier ou d’approfondir. C’est à croire que le monde de l’informatique est complètement dépendant au « hype » (battage médiatique) comme le cyclisme au dopage…
Le pire c’est de pouvoir lire tant d’articles généralement complètement dépourvus d’intérêt : le même bavardage imprécis sur les formidables progrès que va forcément apporter la Blockchain (on retrouve toujours le sempiternel blabla genre “la Blockchain, c‘est fantastique et ça va tout changer” sans jamais expliquer comment) mais aucun détail sur le fonctionnement technique ou la difficulté de mise en oeuvre (essayez donc d’apprendre le type de base de données utilisées par les Blockchain connues à partir de ces articles…).
Tous unanimes ? Pas tout à fait…
Cependant, certains ne sont pas dupes. Nouriel Roubini, célèbre économiste, est lui carrément radical vis-à-vis de ce mouvement, lisez plutôt :
La Blockchain a été annoncée comme une possible panacée à tous les maux existants, de la pauvreté à la famine en passant par le cancer. Il s’agit en réalité de la technologie la plus surfaite – et la moins utile – de toute l’histoire humaine.
https://www.project-syndicate.org/commentary/blockchain-big-lie-by-nouriel-roubini-2018-10/french
Des faiblesses déjà bien identifiées
Sans aller jusque-là (la technologie la plus surfaite – et la moins utile – de toute l’histoire humaine), il faut dire et répéter que la Blockchain n’est évidemment pas une panacée et qu’elle présente certaines sérieuses faiblesses. Et tout d’abord une performance limitée en transactionnel…
Quand Visa est capable de traiter plus de 20 000 transactions par seconde, Ethereum et Bitcoin ne peuvent en traiter respectivement que 25 et 7 (pour prendre un exemple connu et significatif, mais il n’est pas sûr que toutes les organisations aient besoin de traiter 20 000 transactions par seconde…). La Blockchain est ainsi confrontée à un réel problème de scalabilité. Mais les limites de cette technique ne se cantonne pas au seul aspect performances, de nombreux domaines sont concernés.
Dans un article intitulé “Déconstruire les mythes de la Blockchain” (paru en octobre dernier sur le site de La Tribune à https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/deconstruire-les-mythes-de-la-blockchain-794001.html), Sébastien Meunier récapitule les attentes exagérées autour de la Blockchain et explique pourquoi ces illusions seront forcément déçues… Voici les six “réalités” que l’auteur s’efforce de rétablir :
- la Blockchain ne supprime pas les intermédiaires,
- la Blockchain ne supprime pas le besoin de confiance,
- le monde physique détruit les propriétés de la Blockchain,
- la Blockchain ne permet pas de réduire les coûts,
- les contrats intelligents portent très mal leur nom,
- la Blockchain d’entreprise ou pseudo-Blockchain est une innovation incrémentale, pas une révolution.
Selon moi, le plus gros problème lié à la Blockchain est la mise en œuvre de ses applications, bien plus difficiles que ce qu’imaginent ses admirateurs novices…
Des applications Blockchain difficiles à développer
En effet, quand on se hazarde à la pratique, c’est une tout autre musique qui se fait entendre… Il suffit de lire l’expérience vécue par l’équipe de “Marmelab” qui s’est essayé à l’excercice (voir à https://marmelab.com/blog/2016/06/24/blockchain-expliquee-aux-developers-web-la-verite.html). Et voici leur conclusion pour situer la difficulté :
Du point de vue technique, certaines fonctionnalités élémentaires ne sont tout simplement pas faisables. Les Blockchains ne sont pas assez rapides, pas assez attirantes pour les développeurs, et donnent beaucoup trop de pouvoir à une petite ligue de développeurs extraordinaires sans fondations politiques et économiques suffisantes.
D’un point de vue business, la Blockchain change beaucoup trop vite, elle est trop chère, et souvent bien trop lourde pour le service rendu. Les coûts peuvent décupler sans raison. Bâtir un business sur une plate-forme aussi instable est incroyablement risqué.
Mon avis est qu’il faut attendre. La Blockchain n’est pas encore prête. Elle a besoin de plus de maturité, une autre application phare qu’un moteur de spéculation, une communauté de développeurs plus étendue, une plus grande responsabilité économique et écologique.
Une conclusion douloureuse
On l’aura compris, la technologie de la Blockchain n’est pas encore tout à fait prête pour tous les rôles grandioses que ses partisans enthousiastes veulent nous faire adopter. J’ai peur que cette technologie intéressante dans certains cas soit très négativement impactée dans sa réputation lorsque la vague de déception à son égard va commencer à monter…
Ce serait dommage de jeter cette solution aux orties à cause, encore une fois, d’un battage médiatique hors de toutes proportions. C’est déjà arrivé par le passé, que des technologies prometteuses soient mises au rancart car dévoilées et poussées en avant trop tôt, et je crains que ça soit de nouveau le cas ici.
« Il est temps de se montrer -enfin- raisonnable vis-à-vis de la Blockchain », je n’ai pas le sentiment que ce billet soit plus raisonnable à l’exception des trois dernières lignes de la conclusion, que ceux qui vantent la blockchain comme la n ième révolution qui va résoudre 100% des enjeux technologiques, de société, financière, etc. .
Il est plus intéressant à mon sens de voir ceci comme une opportunité de faire travailler des équipes et des chercheurs sur des sujets comme les architectures distribuées, les algorithmes de cryptographies, la sécurité, la scalabilité de ces systèmes, les consensus. Tous ces sujets trop académiques qui étaient peu traités avant l »arrivée du Bitcoin, de l’Ethereum, par exemple le hashcash (1997) qui est la base du consensus proof-of-work si décrié à ce jour pour la consommation d’énergie qu’il requière. Effectivement, il n’est pas viable de continuer ainsi et c’est pourquoi des solutions sont cherchées, implémentées et testées. Seront-elles disponibles et fiables ? Peut-être en 2020…2021. Je n’ai pas souvenir de liens aussi actifs ces dernières années entre les entreprises et les universités avec des profils aussi pointus en mathématique, algorithmiques. Je suis en ce qui me concerne largement plus enthousiaste par la blockchain et ces défis que l’IoT et l’Apple Watch.
Dans les cas d’utilisation, j’en vois déjà un c’est les micros paiements pour tous ces créateurs d’images, de musiques, photos et comics utilisés pour tous les blogueurs de la planète.