Dans ma chronique précédente (voir à https://www.redsen.com/chronique-alain-lefebvre/tom-siebel-futur-gourou-du-big-data/), nous avions vu que les tendances “big data” et “Internet des objets” pouvaient être liées.
Étant donné les prévisions disponibles, nous devrions assister à une véritable “explosion” de ces objets connectés (qui se sont vus attribuer l’étiquette IOT pour “Internet of things”) dans les années qui viennent.
Dans le graphique ci-dessus, on remarque la croissance nulle des PC et des téléphones fixes, la croissance désormais faible des téléphones mobiles et celle bien plus forte des deux catégories IOT…
On remarque que les différentes prévisions ne s’accordent pas sur les volumes (sur le graphique précédent, Ericsson est plus modéré que Cisco sur ce dernier). Mais tous disent la même chose sur deux points : il y a déjà plus d’appareils connectés que d’humains sur Terre et la croissance à venir sera forte.
Il est donc temps de s’intéresser à ce fameux “Internet des objets” qui va contribuer à forger “l’informatique ambiante” (ambient computing, retenez bien ce buzzword -je préférais pervasive computing mais tant pis- car vous allez l’entendre !) qui va être la prochaine grande affaire de la décennie à venir.
IOT, quelle définition ?
Comme toujours avec ces concepts d’avant-garde, vous ne trouvez pas deux personnes ayant la même définition de la tendance. Certains vont vous dire “mais c’est tout simple, les enceintes connectées genre Amazon Alexa, voilà ce qu’est l’Internet des objets !”. Mais non, ce n’est pas (seulement) cela. D’autres vont affirmer que les smartphones et leurs accessoires Bluetooth représentent la base de cet Internet des objets… bien essayé, mais encore raté.
Non pas que ces définitions soient totalement fausses, elles sont simplement trop restreintes : l’Internet des objets s’exprime de multiples façons et ses déclinaisons “grand public” ne sont que la partie visible du phénomène. De plus, même dans son volet “professionnel”, il faut distinguer au moins deux catégories dans ce vaste domaine : les objets “basiques” branchés sur les réseaux unidirectionnels et à faible énergie d’une part et les objets “plus sophistiqués” branchés sur les réseaux bidirectionnels à moyen et haut débit d’autre part. Cette segmentation va sans doute évoluer dans le futur, mais c’est celle qui permet de comprendre (au moins en partie) comment fonctionne ce domaine aujourd’hui.
Des concepts à la pelle
Car quand on cherche à comprendre où en est l’IOT et vers quoi il se dirige, on est bombardé par un lot de concepts à la mode comme la smart city, le smart building ou la smart industry.
Une ville intelligente est une zone urbaine qui utilise différents capteurs de collecte de données électroniques pour fournir des informations permettant de gérer efficacement les ressources et les actifs. Ceci comprend les données collectées auprès des citoyens, des dispositifs mécaniques, des actifs, traitées et analysées pour surveiller et gérer les systèmes de circulation et de transport, les centrales électriques, les réseaux d’approvisionnement en eau, la gestion des déchets, les systèmes d’information, les écoles, les bibliothèques et les hôpitaux (source https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_intelligente).
On comprend en lisant cette définition que la collecte des données permettant la “ville intelligente” se fait grâce à l’IOT. On comprend aussi que ce qui s’applique à une ville dans le cas de la “smart city” se fait à l’échelle d’un immeuble dans le cas du “smart building” et d’une usine ou d’un entrepôt dans le cas de la “smart industry”.
Dans le cadre du “smart building”, les applications potentielles sont légion…
Les capteurs sont nombreux, les capteurs sont partout
Le mot-clé pour comprendre tous ces concepts est “capteur”. Et les capteurs sont déjà nombreux dans les objets techniques qui nous environnent. Prenons votre smartphone pour commencer : il est équipé de capteurs de position (gyroscope), d’accélération (accéléromètre), d’orientation (magnétomètre pour l’orientation nord-sud, mais qui peut aussi, en plus, servir de détecteur de métaux !), de localisation (GPS bien sûr), de proximité (pour détecter quand vous le portez), de luminosité (afin d’adapter l’écran à l’ambiance), de sons (le microphone n’est pas autre chose qu’un capteur de sons… votre smartphone vous écoute plus souvent que vous ne le pensez d’ailleurs !), de toucher (permettant à votre écran de capter vos commandes tactiles), d’empreintes digitales (afin de débloquer votre appareil), de marche (un podomètre pour mesurer vos pas), de barcodes/QR codes (afin d’être capables de lire les codes sur les étiquettes), de pression (un baromètre est présent dans les modèles haut de gamme afin de mesurer votre altitude et les variations météo), de températures (pour mesurer la température du smartphone lui-même ainsi que sa batterie afin de se protéger en cas de surchauffe, mais également pour mesurer la température extérieure) et d’humidité de l’air (toujours pour se protéger des situations extrêmes). Certains modèles vendus au Japon intègrent même un compteur Geiger afin de pouvoir mesurer la radioactivité ambiante !
Récapitulons. Un objet qui fait partie de l’IOT est doté d’une étiquette (pour s’identifier), de capteurs (pour relever des données), éventuellement d’actuateurs (capable d’exécuter des actions comme ouvrir ou fermer une vanne) et d’une interface de communication sans fil pour se connecter aux réseaux ad hoc et transmettre les données récoltées avec les capteurs.
La question des réseaux de recueil des données
Si certaines applications nécessiteront des débits importants pour soutenir la connexion entre leurs différents objets connectés (des caméras de surveillance, par exemple), ce n’est pas vrai pour tous les cas d’usage, dont certains pourraient n’avoir besoin que de solutions dédiées destinées à des appareils à faible consommation énergétique et disposant d’une couverture réseau importante, ce sont les technologies de réseaux basse consommation et à longue distance LPWAN (pour Low Power Wide Area Network) parmi lesquelles figurent entre autres les solutions Sigfox et LoRaWAN.
« On n’a pas besoin d’une autoroute pour faire rouler une bicyclette « , résumait récemment l’état-major de Sigfox pour présenter leur technologie 0G. Une formule qui s’applique à merveille aux solutions LPWAN. En effet, l’analogie est bien trouvée : une autoroute permet du haut débit, mais elle est coûteuse à construire et à entretenir. Une piste cyclable est facile à mettre en place et demande moins d’entretien. Pour les objets simples qui doivent fonctionner dans la durée en restant autonome (donc, alimentés par une pile ou une batterie), la consommation d’énergie est un critère clé. De plus, pour envoyer un statut deux fois par jour, pas besoin de haut débit.
Ces réseaux sont utilisés (entre autres) pour la collecte des informations des compteurs d’eau, électricité, gaz (où l’information est légère et doit remonter ponctuellement). Un autre cas significatif avec les containers de recyclage : des capteurs de contenu permettent de déterminer quand il faut venir les vider.
Ces réseaux LPWAN opèrent sur la fréquence des 868 MHz – dont l’utilisation a été libéralisée par l’Arcep en 2006. Une bande ultra étroite (dite Ultra narrowband) qui permet d’obtenir des signaux dotés d’une bonne capacité de pénétration dans les bâtiments et les sous-sols, atteignant de grandes distances -jusqu’à 40 km !- sans besoins énergétiques importants. Mais ces réseaux économes présentent tout de même des limites : non seulement un débit limité, mais aussi un fonctionnement (principalement) unidirectionnel. Quand on a besoin de plus de débit et d’un échange dans les deux sens, il faut passer au cran du dessus : la réponse des opérateurs mobiles aux technologies LPWAN via des solutions “IoT” reposant sur des réseaux cellulaires existants, à l’image des offres LTE-M et NB-IoT développées respectivement par Orange Business Service et SFR Business.
Un marché en “taches de léopard”
Pour le moment, les déploiements de l’IOT sont encore très variés et donnent l’impression que le marché est encore en “taches de léopard” : des poches d’activités intenses côtoient des zones où il ne se passe rien…
Voici quelques exemples afin de situer la tendance : Air Liquide met des capteurs sur les bouteilles d’oxygène qu’il fournit aux hôpitaux afin de savoir quand les renouveler (et où elles se trouvent !), Celio a mis des étiquettes RFID sur tous les vêtements vendus par l’enseigne. Ainsi, il devient possible de savoir quels sont les produits les plus essayés, mais qui ne sont pas achetés, ceux qui sont achetés sans même être essayés ou ceux qui sont les plus essayés, etc.
Le transporteur GEFCO assure la traçabilité de sa flotte de remorques de camions (450 unités) en France grâce à l’IOT pour son activité groupage. Dans un élevage de bovins, chaque animal est doté d’un collier avec des capteurs/émetteurs afin de le situer, savoir s’il bouge et mesurer sa température corporelle (et ainsi pouvoir détecter au plus tôt les animaux malades).
La chaîne de livraison de pizzas, Domino’s Pizza veut suivre ses vélos et scooters électriques à la trace grâce à des traceurs connectés (fournis par Morio), afin de les retrouver en cas de vol et d’assurer leur maintenance. Le constructeur automobile PSA va optimiser la rotation des conteneurs entre ses différents sites et usines. Les conteneurs seront suivis en temps réel grâce à des capteurs reliés au réseau Sigfox.
Des échanges avec des experts
J’ai interrogé Frank Fisher d’Adeunis (un intégrateur spécialiste du domaine) sur la dynamique du marché : où constatez-vous le plus de dynamisme : smart building, smart city ou smart industry ?
La dynamique existe sur l’ensemble de ces marchés, mais elle n’est pas de la même nature. Sur le marché du Smart Building, elle est très soutenue, notamment de par un cadre réglementaire et normatif assez fort (contrôle des consommations, efficacité énergétique, qualité de l’air…) et par une demande de plus de confort et de services aux usagers. Sur le marché de la Smart City, les besoins sont réels (éclairage public, mobilité, smart metering….) mais sont liés à des démarches de municipalités/communes, avec donc une inertie plus importante du fait de la taille des projets. Sur le marché de la Smart Industry, nous sommes face à une demande plus globale de digitalisation globale des activités, donc à un spectre de besoins beaucoup plus large que les « seuls » réseaux LPWAN.
Frank met en avant l’hôtel Ibis confluence de Lyon qui combine plusieurs solutions dans la mouvance “smart building” (voir à https://www.adeunis.com/ibis-suivi-des-consommations/).
Ce focus sur le smart building peut se comprendre dans la mesure où le secteur du bâtiment reste le premier poste de consommation d’énergie avec près de 40% des volumes d’électricité produite dans l’hexagone, devant les transports (32%), l’industrie (21%) et l’agriculture (3%). Les 2 & 3 octobre derniers avait lieu à Paris (porte de Versailles) le “salon de la performance énergétique des bâtiments” où de nombreux professionnels concernés par l’IOT se sont rendus.
La smart city est à la traîne…
Claire Hugonet (consultante spécialiste du domaine) confirme le fait que la “smart city” soit un marché qui est plus difficile qu’annoncé : Le cas d’usage qui amène tôt ou tard les collectivités, quelque soit leur taille, vers l’utilisation de l’internet des objets LORA, c’est la supervision de leurs consommations eau, gaz, elec.
Les déchets sont plutôt une compétence intercommunale et le parking a montré ses limites en termes de ROI.
En témoigne l’arrêt récent du service de “stationnement intelligent” à Nice, placé au cœur de la stratégie smart city de la ville. “Un système innovant, facteur d’améliorations, et rentable, plutôt qu’un vieux système obsolète” selon le maire, Christian Estrosi. La solution, basée sur le déploiement de centaines de capteurs intégrés dans les bordures des trottoirs, de bornes-horodateurs communicantes et d’un système de paiement par téléphone a coûté 10 millions d’euros et n’a pas rencontré le succès escompté… De nombreux problèmes techniques, ainsi qu’un défaut de mise en concurrence dans l’attribution des marchés pointée par la Chambre régionale des comptes, ont largement affaibli la crédibilité du dispositif. Suite à l’arrêt du service, les anciens horodateurs ont été remis en place…
Cette différence de dynamisme entre la “smart city” et les autres segments m’a également été confirmée par Bruno Hamamlian de Birdz (la filiale de Veolia spécialisée sur l’IOT) qui déplore que le discours habituellement “techno-centré” des informaticiens cadre mal avec les attentes des municipalités.
Une technique encore perfectible
Bref, on l’a compris, le marché cherche encore son cadre, le processus de maturation est loin d’être terminé. D’autant que les solutions techniques actuelles semblent encore incomplètes dans certains cas. Dans le cas du retour d’expériences de GEFCO, Gunesh Dwarika m’a confirmé (dans son jargon !) que les zones d’ombres subsistaient :
à cette date, on peut avoir un modèle efficace sur l’outdoor ou l’indoor séparément, mais pas combiné (ou sinon trop cher). Les solutions mobiles (3G/4G) offrent une couverture géographique forte, mais s’appliquent uniquement à des flux à forte valeur ajoutée (conteneurs, wagons ferroviaires). Les solutions IOT sont efficaces en coûts, mais la couverture est très ciblée et focalisée aujourd’hui (couverture incomplète aujourd’hui, roaming en cours de développement). Un univers technologique pas encore stabilisée (Sigfox, LORA, LTE-M), une difficulté à se projeter sur des investissements devices long-terme.
La 5G est un “game changer” sur la connectivité à la fois sur la vitesse, la latence, mais surtout sur deux autres éléments clés (performance énergétique -90% moins) et l’utilisation des fréquences au-delà des 3GHz (fréquences millimétriques). Les bénéfices pour les logistiques sont dans sur deux zones : la démocratisation à l’accès immédiat à la donnée à partir du point de départ d’une chaîne logistique jusqu’à la livraison client -> Track and Trace, mais surtout l’optimisation à toutes les étapes clés. L’arrivée des systèmes de transports autonomes notamment des camions électriques autonomes. Notre vision chez GEFCO est potentiellement à terme un système de hub avec des navettes de camions autonomes sur les autoroutes. Pour ce faire, la communication entre les camions et entre les camions et l’infrastructure sera clé. La 5G sera probablement un facilitateur pour la mise en place de types de dessertes. La 5G est un enabler fort pour l’ensemble du secteur de la logistique et de la supply chain pour accélérer la digitalisation et l’ère de l’intelligence artificielle.
Des perspectives encourageantes
Bien, on a compris que, avec ses mots, Gunesh Dwarika était enthousiaste sur les perspectives offertes par la 5G. Pour ma part, je pense que ces perspectives restent tout de même à vérifier et même si la 5G va sans doute rebattre certaines cartes (voir notre chronique à ce sujet à https://www.redsen.com/chronique-alain-lefebvre/ou-nous-emmene-la-5g/), il y aura aussi, inévitablement, quelques déceptions en chemin…
Ce qui semble sûr, en revanche, c’est que l’IOT est appelé à un fort développement lors de ces prochaines années. On voit les signaux qui annoncent ce développement à travers les initiatives du monde des affaires comme la création de Safecube par Michelin, Sigfox et la société de consulting Argon Consulting. Cette nouvelle société va commercialiser une solution de localisation des marchandises et de suivi de leurs conditions de transport en termes de température, humidité, chocs, ouverture, etc. en temps réel. Ce nouvel acteur proposera donc de suivre en temps réel les conteneurs à travers le monde. On voit aussi des initiatives nombreuses et ambitieuses dans le domaine technique comme Sidewalk d’Amazon, un protocole de réseau sans fil à bas coût, basse consommation et bas débit (encore un !). Il utilise la bande de fréquence 900 MHz non soumise à licence et affiche une portée comprise entre 500 mètres et 1,6 km. Sur le plan sécurité, il intègre des fonctionnalités de mises à jour à distance et la géolocalisation par triangulation. Sidewalk se comprend comme un réseau maillé, ce qui élimine les obstacles de déploiement en s’appuyant sur des réseaux sans-fil et cellulaires existants.
Du côté des composants de base, on trouve une annonce intéressante de Sony. Dernièrement, le constructeur japonais a dévoilé une puce avec une portée de presque 100 km !
Cette puce permettra d’envoyer des informations sur le réseau ELTRES LPWA (encore un !). Contrairement aux données cellulaires, ce réseau permet une communication longue distance robuste, une communication de mobilité haute vitesse et une faible consommation d’énergie. La puce pourrait être utilisée sur des objets fixes en milieu urbain, mais également pour des objets se déplaçant rapidement en milieu rural, comme un drone.
L’IOT, une spécialité française ?
Il semble aussi, et c’est une bonne surprise, que la France et les entreprises françaises (principalement des startups, cela va de soit !) soient particulièrement bien placées dans le cadre du marché IOT. Et pour bien marquer le coup, il y a même une “IOT Valley” dans la région toulousaine !
On y trouve des entreprises comme Nanolike. La start-up, créée en 2012 par deux jeunes ingénieurs de l’INSA Toulouse a réussi à industrialiser, à partir d’une technologie de dépôt de nanoparticules issue d’un laboratoire toulousain, une nouvelle génération de nanocapteurs. Ces capteurs de type “jauges de contraintes” calculent les microdéformations de l’ordre du micron. « Nos nanocapteurs apportent une sensibilité au moins dix fois plus importante que les technologies concurrentes et consomment jusqu’à 10 000 fois moins d’énergie », insiste Jean-Jacques Bois, le président de Nanolike. Pour GRDF, Nanolike travaille sur une preuve de concept pour utiliser ses nanocapteurs pour du suivi de remplissage de bennes de déchets de chantier pour optimiser les tournées de ramassage.
J’ai retenu cette annonce de Nanolike, mais il y en a des dizaines d’autres qui témoignent du dynamisme actuel et futur du secteur.
Un monde de plus en plus quadrillé
À travers cette émergence de l’IOT, on voit qu’on va vers un monde de plus en plus quadrillé. En effet, non seulement les capteurs vont pulluler sur tous les types d’objets, des plus gros aux plus discrets, mais, en plus, cette surveillance “par la data” va être renforcée par une surveillance visuelle permanente depuis le ciel. Oui, il y a désormais des Hedge Funds qui s’appuient sur des images satellites en temps réel pour évaluer des données économiques comme les stocks des concessionnaires automobiles aux USA. Et ce n’est qu’un début, nous allons progressivement entrer dans un monde où des flots de données énormes (big data donc) vont être disséqués en permanence par des logiciels dédiés. Ces derniers ne vont pas se contenter longtemps de faire des analyses à partir de ces flux, ils vont aussi en tirer des conclusions et prendre des décisions. On va passer de “l’aide à la décision” à “la décision assistée”, voire même à la “décision déléguée”… Cela ne va pas se faire tout de suite (mais c’est déjà en cours), cela va encore prendre des années à se généraliser, mais la tendance est claire, vous êtes prévenus.